L’anarco-indépendantisme breton vu par Olivier le clainch dit Kendall Breizh
Camarade indépendantiste breton tombé Martyr en 2018 pour la défense de la révolution au Rojava

A l’occasion de l’anniversaire de sa mort, Dispac’h republie un de ses articles parus dans le Huchoer, journal libertaire breton.
Les martyrs ne meurent jamais ! Vive la Bretagne libre et socialiste !
Anarcho-indépendantisme breton
Le regroupement récent en Bretagne d’individuEs Libertaires et Indépendantistes au sein de collectifs locaux et/ou de coordinations bretonnes amènent un certain nombre de questionnements et de positionnements chez les individuEs de ces groupes mais aussi chez ceux d’autres organisations.
Me voyant, à un Festival, posée la question : « comment peut-on être anarchiste et indépendantiste ? » par un camarade qui me regardait comme un monstre de foire, je profite de l’occasion qui m’est donnée pour m’expliquer sur mon positionnement et donner mon point de vue personnel sur la question. Pour bien comprendre un cheminement indépendantiste, il faut avant tout comprendre ce que peut signifier l’indépendance et son penchant contraire la dépendance.
Mon sentiment d’indépendantisme est lié à la soumission imposée d’un peuple nié jusque dans son existence, à un État : l’État français.
L’indépendance est donc la rupture des liens administratifs, politiques, culturels et autres posés par cet État. Liens autoritaires et coloniaux basés sur la prétendue supériorité de l’oppresseur.
L’indépendantisme ne sous-tend aucune autre valeur que cette rupture nécessaire à la survie d’un peuple, de sa langue et de sa culture. Il ne s’agit pas d’une rupture avec un autre peuple sauf si ce dernier se comporte en conquérant, à l’image de l’État qui le dirige, mais d’une rupture avec l’État qui impose sa langue, sa culture, ses lois. Il n’y a donc aucune contradiction entre la libération d’un peuple asservi et soumis par un État (indépendantisme), et la libération des individuEs asserviEs par les États et les patrons (anarchisme).
Les dérives que d’autres libertaires dénoncent, en les assimilant à l’indépendantisme, sont en réalité dues à la nature du projet de société que certains développent derrière. Car effectivement si de fait l’indépendantisme est une valeur libertaire, elle est souvent accompagnée de projets qui le sont beaucoup moins. Je suis contre l’État français à deux titres : il m’oppresse en tant que breton et en tant qu’individu. Je suis contre un État breton car si l’oppression colonialiste aura partiellement cessée, il restera l’oppression étatique et autoritaire : je ne serai donc pas libre.
Inversement, une révolution mondiale qui refuserait de reconnaître les droits collectifs, culturels et politiques du regroupement auquel je me sens appartenir (le peuple breton), ne me laisserait qu’à moitié libre même en détruisant la structure des États.
Le projet de société que je défends est anarchiste car il se veut contre toute forme d’autoritarisme : et ce dernier inclut aussi bien à mon sens le colonialisme, l’impérialisme, l’uniformisme, le rejet d’une langue ou d’une culture qui sont comme le reste des formes d’oppression, que le capitalisme, le salariat, la répression…
Ce qui a déterminé mon choix politique et au final l’organisation dans laquelle je souhaite militer, c’est, au-delà, des idées qu’elle défend et que j’approuve et partage, le mépris que d’autres organisations ou individuEs émettent sur la question des libertés des peuples qui est pourtant une valeur libertaire. De plus, certaines des réactions que j’ai pu entendre ou qui ont pu m’être rapportées se rapprochent souvent des vieux réflexes colons et/ou paternalistes du début du siècle. Venant d’organisations nationalistes françaises comme le Mouvement des Citoyens, la Libre Pensée, le RPR… je peux le comprendre. J’ai en revanche beaucoup plus de diffi cultés lorsque cela vient de libertaires
Mon engagement indépendantiste est aussi lié à la question linguistique.
A ma mesure j’essaie de contribuer au développement de la langue bretonne en la promouvant autour de moi mais surtout, et c’est à mon sens le plus important, en commençant à l’apprendre. Il faut donc commencer à mettre une petite chose au point : une langue en soi n’est ni fasciste, ni anarchiste ; elle n’est porteuse d’aucune valeur ! Cela est vrai pour toute les langues, le français comme le breton, seuls ceux qui la manipulent peuvent défendre telles ou telles valeurs. Il n’y a donc strictement aucune contradiction à être anarchiste et bretonnant, tout comme on peut être anarchiste et francisant si ce n’est que le français est langue d’un État dominant et donc protégée par des institutions et des lois alors que le breton est menacé de disparition.
Je refuse l’impérialisme linguistique du français en Bretagne comme je refuse l’impérialisme de l’anglais en Europe et comme je refuse l’impérialisme du breton sur le gallo. Quant à l’Espéranto, il doit venir en supplément des autres langues et non en remplacement car l’uniformisation (forme de rejet des différences et donc de racisme) est toujours néfaste qu’elle soit d’origine capitaliste, colonialiste ou « anarchiste » mais sur ce point je pense que tout le monde peut être à peu près d’accord.
Enfin, si j’écris cet article en français il y a deux raisons à cela : d’abord, une technique qui n’est pas la plus importante : mon niveau encore débutant. Et ensuite, une raison idéologique : je ne destine pas ce texte à ceux qui prennent déjà part à un mouvement d’émancipation des peuples et donc déjà convaincus de la nécessaire défense des langues et des cultures. Je ne pense pas que les liens actuels entre la Bretagne et la France garantissent les droits linguistiques des bretonNEs.
C’est pourquoi mon positionnement sur la question linguistique est aussi une composante de mon indépendan-tisme.
Mais cette explication sur l’engagement d’anarchistes dans la lutte indépendantiste ne saurait être complet sans aborder justement les luttes de libération nationale et sociales déjà engagées et parallèlement à cela la question des prisonniers politiques (« politiques » car leur enfermement est issu de leur engagement militant, ce qui par ailleurs ne justifie en rien la déten-tion des autres catégories de per-sonnes).
Sur le premier point, celui des luttes, il va de soi que j’en partage certains aspects dont le plus fondamental : celui de la séparation d’avec l’État français, du droit des peuples à l’émancipation. Comme je l’ai déjà dit plus avant, je considère l’indépendantisme comme une valeur libertaire. Je ne condamnerais donc certainement pas ceux/celles qui s’engagent, même par les armes, dans ce chemin. En revanche, je n’approuve pas toujours, et ce point à son importance, le projet de société (ou parfois l’absence de projet de société) que développent les groupes déjà engagés.
Est-ce une raison pour refuser de prendre part à cette lutte ? Non, bien au contraire. C’est à nous anarchistes de prendre les devants pour éviter justement les dérives étatiques qui pourraient éclore d’une telle lutte non pas en s’en désintéressant mais en s’y investissant pleinement.
Il est effectivement facile de décrier les dérives des dynamiques de libération et d’émancipation lorsque l’on n’a rien fait pour les empêcher.
Enfin vient la question des victimes de la répression politique des États dominants.
Je soutiens ce qui œuvre pour leur libération pour trois raisons : 1 / je suis pour la disparition des prisons. 2/ les prisonniers politiques ne sont pas traités d’égal avec les autres contrairement à ce que certains semblent croire, ce qui ne remet pas en cause le fait que tout enfermement est une injustice sociale. 3/ plus encore que leur enfermement, je dénonce la criminalisation des idées « subversives » du point de vue de l’État dominant, le refus du droit à la révolte par les États, et le mépris de la part des États des causes de leur rébellion.
Comme je suis internationaliste, il va de soi que ces principes je les défends pour tous les peuples du monde : Kurdes, Palestiniens, Indiens du Chiapas, Basques, Français, Anglais… (la liste est hélas beaucoup trop longue pour figurer en entier dans cet article) sans exclusivité.
OLC