Kanaky, pour la fin de tous les colonialismes et la mort de tous les empires
Depuis plusieurs semaines, la Kanaky connaît un mouvement de révolte massif, qui a pris, ces derniers jours, un tournant insurrectionnel.
Ce mouvement de révolte s’oppose à l’élargissement du corps-électoral. Cette mesure, réclamée par les militant-es loyalistes de Kanaky et qui vient d’être approuvée par l’Assemblée nationale, doit permettre la participation de 25 000 nouveaux électeur-rices, majoritairement d’origine européenne, aux élections locales.
Suite à l’accord de Nouméa, la Nouvelle Calédonie est en effet dotée d’institutions propres dont les élu-es ne peuvent être désigné-es que par les personnes résidant sur place depuis au moins 1998, année où l’accord a été signé, et leur descendant-es.
Pour les Kanaks, devenu-es minoritaires sur leur propre terre du fait de la colonisation, la fin de ce particularisme électoral signifierait l’éloignement de tout espoir d’indépendance et la main mise assurée des loyalistes sur les institutions.
Il signifie aussi la fin de l’esprit de l’accord de Nouméa, qui devait permettre la réconciliation des Kanaks et des descendant-es de bagnard-es et de travailleur-euses issu-es des anciennes colonies (Kabyles, Vietnamien-nes, Indonésien-nes …) déporté-es contre leur volonté, par l’établissement d’un projet décolonial commun, nécessitant l’exclusion des nouveaux arrivant-es issu-es de la métropole du processus de décision politique.
Cela intervient à la suite de deux référendums sur l’indépendance où le « non » l’a emporté à chaque fois de façon de plus en plus serrée (56,67 et 53,26%) ; puis d’un troisième, maintenu par l’État en pleine pandémie de Covid 19 alors que les indépendantistes demandaient un report dans le respect des coutumes kanaks liées au deuil, et qui a été massivement boycotté par la population kanak alors qu’un report aurait laissait entrevoir une victoire probable du « oui ». Cette modification du corps-électoral est un nouveau signe clair de reprise en mains coloniale adressé par la France au peuple Kanak et aux indépendantistes.
En maintenant arbitrairement le troisième référendum, contre la volonté du peuple Kanak et le respect de ses traditions, le gouvernement a démontré sa volonté de passer outre le respect des droits fondamentaux des premier-es habitant-es de l’archipel. Volonté ensuite réaffirmée par la nomination de la leadeuse loyaliste Sonia Backès, au poste de secrétaire d’état dans le gouvernement Borne, ou l’implication des élu-es Renaissance locaux, tel que Nicolas Metzdorf, à la pointe du combat loyaliste.
De fait tout dialogue est rompu depuis 2021, et ce référendum, volé.
En réaction à ce passage en force du pouvoir, le mouvement indépendantiste s’est doté, les mois derniers, de comités spécialement créés pour organiser la résistance à cette réforme : les Cellule de Coordination des Actions de Terrain (CCAT). Celles-ci ont organisé plusieurs manifestations massives, dont une rassemblant plus 60 000 personnes à Nouméa, soit le quart de la population calédonienne !
L’USTKE (union des travailleur-euses kanaks et des exploité-es) à aussi appelé à des grèves, qui ont été très fortement suivies. Les émeutes actuelles sont donc tout sauf une surprise, mais le fruit logique d’une situation où le gouvernement est resté totalement sourd face aux protestations pacifiques du peuple Kanak. Le pouvoir français est donc le seul responsable de la situation.
Plus généralement, elle s’inscrit dans un contexte colonial criant.
Les inégalités économiques et sociales entre Kanaks, Caldoches et métropolitain-nes sont sidérantes et comparables à celles que connaissent les pays dit en voie de développement. À Nouméa, les bidonvilles côtoient des quartiers de luxe style Côte d’Azur, ou les métropolitain-nes – celles et ceux-là même auquel le projet de réforme électorale prévoit de donner le droit de vote – étalent leur fric avec indécence.
Ce sont les Kanaks qui remplissent les prisons. L’histoire des massacres et des exactions commises par l’empire colonial reste presque totalement passée sous silence. L’économie reste accaparée par la même poignée de famille qu’à l’époque coloniale. L’État cherche à reprendre la main sur le secteur du nickel, poumon économique de la Nouvelle Calédonie et vital pour sa décolonisation, et à le reconfier au secteur privé. Le racisme et la ségrégation restent des éléments structurant de la société calédonienne, ses derniers jours voyant même la réapparition des milices suprémacistes et des meurtres racistes.
À la veille des référendum, 23 000 Kanaks restaient non inscrit-es sur les listes électorales, en partie à cause de l’excès de zèle de commissions d’inscriptions aux mains des loyalistes, mais aussi à cause d’une défiance large face à l’État. Rappelons que pour l’ONU elle-même la Kanaky reste une colonie française à décoloniser.
C’est ce statu quo que le gouvernement cherche à maintenir en stoppant tout processus de décolonisation, misant sur le fait qu’à moyen terme les Kanaks finissent totalement noyés sous l’afflux de métropolitain-nes.
Face à la révolte le pouvoir semble une nouvelle fois ne pas avoir d’autres stratégies que l’écrasement. L’État d’urgence a été proclamé, des flics sont massivement envoyés depuis la France, et l’utilisation de certains réseaux sociaux utilisés par les révolté-es a purement et simplement été interdite. Des milices suprémacistes armées ont revu le jour avec le soutien tacite de l’État, et trois jeunes Kanaks ont été assassinés par balle.
Darmanin qualifie les CCAT à l’origine de la mobilisation d’« organisation mafieuse » et les accuse d’être responsable des violence, préparant ainsi la voie à une répression future du mouvement politique de résistance kanak dans son ensemble.
Dupond-Moretti s’apprête à publier une circulaire pénale pour garantir « les sanctions les plus lourdes contre les émeutiers et les pillards ». De nombreux leadeurs indépendantistes sont déjà assignés à résidence, et assignations à résidence et perquisitions administratives arbitraires devraient encore se multiplier dans les prochains jours.
Enfin, sur les plateaux de télés français les leadeurs et leadeuses loyalistes ne cessent de défiler pour pleurer à chaudes larmes, sans que jamais la parole ne soit donner aux Kanaks et aux indépendantistes, et Darmanin propage l’idée complotiste d’une manipulation de l’Azerbaïdjan à l’origine des émeutes.
Tou-tes les chercheur-euses spécialistes de la Kanaky s’accordent pourtant aujourd’hui à dire que face à l’aveuglement du gouvernement, ayant ouvertement pris fait et cause pour la frange la plus radicale des loyalistes, la situation actuelle était devenue inévitable.
Face à la détermination et à la mobilisation massive du peuple Kanak, et particulièrement de sa jeunesse, la solution ne pourra pourtant être que politique, passant par la mise en place d’un véritable processus de décolonisation, une répartition juste des richesses, et la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple Kanak et des autres composantes historiques de la population calédonienne.
Rajoutons enfin que se qui se passe aujourd’hui en Kanaky entre pour nous fortement en résonance avec le soulèvement pour Nahel, qui a embrasé toutes les banlieues de l’hexagone à l’été dernier, et celui, plus ancien, des Gilets Jaunes.
Car si, évidemment, les situations sont à chaque fois différentes, notamment en ce qui concerne le racisme et l’oppression coloniale, on retrouve malgré tout en filigrane – des colonies françaises d’outre-mer aux campagnes de l’hexagone, en passant par les banlieues – une même gestion de plus en plus cynique et brutale de la part du pouvoir et de la bourgeoisie, de territoires pauvres et périphérique, perçus comme habités par des populations barbares, sales et mal éduquées, que l’on peut légitimement réprimer par la violence, et dont le seul intérêt réside dans le pillage des richesses, et l’exploitation de leur population comme main d’oeuvre dans les tâches les pires que le capitalisme a à offrir.
Gestion cynique et brutale auxquelles répondent des logiques et stratégies communes d’auto-organisation et de solidarités parallèles, de défiance et d’évitement vis-à-vis du pouvoir et des institutions, ainsi que des embrasements ponctuels lorsque la situation devient trop insupportable.
Au moment où, partout sur terre, les impérialismes se font chaque jours plus menaçant, et où en Occident, la bourgeoisie semble avoir fait le choix de se sauver par l’arrivée au pouvoir du fascisme, et par l’instrumentalisation du racisme, et des divisions qu’il génère au sein des classes populaires et du prolétariat, ce constat est pour nous un préalable nécessaire à la constitution d’un front révolutionnaire de classe, résolument antiraciste et décolonial, le plus large possible.
Soutien au peuple Kanak et à tous les peuples et populations en lutte de par le monde contre le colonialisme, l’impérialisme et l’exploitation.
Pour une Kanaky libre et socialiste.
Contre tous les colonialismes et pour la mort de tous les empires.
Dispac’h, le 20 mai 2024