Carnac, des menhirs de plus de 7000 ans détruits pour construire un Mr Bricolage
Depuis quelques jours, la destruction d’au moins 38 menhirs à Carnac – en réalité probablement plus, le rapport de l’Inrap faisant état « d’un minimum de 38 monolithes, identifiés sur le site » tout en précisant qu’ « il en existe sans doute d’autres dans la partie non débroussaillée » – pour faire place net à un Mr Bricolage fait couler beaucoup d’encre.
Et on ne peut s’en étonner tant les faits sont symptomatiques des dérives de notre époque, et du saccage perpétré par les politiques d’aménagement du territoire.
Retour sur les faits
Il y a quelques mois, une quarantaine de menhirs ont donc été détruits à Carnac pour laisser la place à un Mr Bricolage. Cet ensemble mégalithique était constitué de deux rangées de petites stèles granitiques s’étendant chacune sur une cinquantaine de mètres de long. Si l’une des deux rangées était, semble-t-il, constituée de vestiges anciens ayant été redéplacés au cours du temps (ce qui est courant pour des ensembles aussi vieux), l’autre rangée était, quant à elle, constituée de pierres ayant probablement été dressées il y a entre 7000 à 8000 ans, et n’ayant plus bougé depuis. Les espaces entre ces pierres ont par la suite été comblés, à une époque plus ou moins récente, avec des pierres plus petites afin de transformer l’ensemble en muret (réemploi à des fins agricoles).
Face aux accusations, la préfecture, la Drac (elle-même inféodée à la préfecture), et la mairie nient l’importance du site en se servant de son apparence peu spectaculaire. Celui-ci était pourtant référencé sur l’Atlas des patrimoines, une plateforme de la Drac à destination des élus répertoriant les sites archéologiques, et figurait sur la liste indicatives des sites mégalithiques du Morbihan pour leur demande d’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Plusieurs jours après le début de la polémique, la Drac s’est fendue d’un communiqué déniant toute valeur archéologique au site sans aucune étude scientifique à l’appui.
Pour Stéphan Hinguant, chercheur ayant piloté l’enquête de l’Inrap sur demande de la Drac, ce site était au contraire "d’une importance capitale".
« Ce n’était pas simplement des murets de pierre sèche, mais des menhirs qui ont servi de calage à ces murs. Toutes les informations que pouvait apporter cette file de menhirs (…) sont aujourd’hui perdues. »
En effet, des datations au carbone 14 menées à proximité du site avait permis d’obtenir des dates dépassant les 7000 ans, c’est- à-dire une époque antérieure à la révolution néolithique où la Bretagne et le nord-ouest de l’Europe n’étaient encore peuplées que de populations de chasseurs- cueilleurs. Or, le mégalithisme étant associé en Europe aux premières populations d’agriculteurs, un site mégalithique fondé par des chasseurs- cueilleurs dans ce secteur aurait été une découverte inédite.
Pour Christian Obeltz, l’archéologue local ayant lancé l’alerte, c’est la probable classification prochaine des sites mégalithiques du Pays Vannetais au Patrimoine mondial de l’UNESCO qui pousse les élu-es du département à bétonner à tout va car « après, avec l’UNESCO, ce ne sera pas possible ». Il y a 10 ans, ce même archéologue était déjà intervenu à Carnac suite à la destruction d’un tumulus, la commune avait alors été condamnée à payer plusieurs centaines de milliers d’euros d’amende.
Si la polémique a pris une telle ampleur, c’est aussi à cause de la place occupée depuis des siècles par les ouvrages mégalithiques dans les croyances et spiritualités populaires en Bretagne.
Des millénaires après la disparition des civilisations les ayant érigés, et après des siècles de christianisation, ils étaient encore jusqu’à une époque relativement récente l’objet de nombreuses croyances et dévotions : rites de fécondité, traces du passage du géant Gargantua, demeures des fées et du petit peuple, gardiens de trésors… Conservant ainsi leur caractère sacré bien après que leur sens premier ait été oublié.
En témoigne la lutte emblématique menée contre la transformation du site de Carnac en sorte de parc d’attraction à touristes entre 1991 et 2002. Porté par l’État et la mairie, ce projet visait à engrillager l’ensemble du site, et à expulser les riverain-e-s, pour en rendre l’accès payant. Le maire de Carnac de l’époque était alors Christian Bonnet, ministre de l’intérieur pendant les évènements de Plogof, et qui disait clairement que « les menhirs, il est temps que ça rapporte ». Rapidement, le collectif Menhirs libres se constitue pour s’opposer au projet. S’en suivra une décennie de lutte particulièrement inventive : fêtes libres, recours juridiques, manifestations de menhirs sauvages en plein Paris, plasticage puis incendie du belvédère du parc…
20 ans après la victoire du collectif, force est pourtant de constater que la victoire est amère.
Carnac et ses environs sont occupés à plus de 70 % par des résidences secondaires, et le site mégalithique est, années après années, toujours plus dégradé pour satisfaire les besoins du tourisme : parkings, zones commerciales, antenne relais, routes et chemins hyper aménagés au milieu des alignements… Le site ressemble de plus en plus à n’importe quelle sortie de grande ville.
Alors que l’extrême-droite tente en partie de surfer sur la colère (Zemmour s’étant même rendu sur place pour étaler sa stupidité, parlant de « menhirs de 7500 ans de l’époque celtique », doit-on lui expliquer que les aventures d’Astérix et Obélix ne constituent en rien des travaux scientifiques ?), c’est une nouvelle fois pour nous l’occasion de rappeler que ce n’est ni le « wokisme », ni les autres paniques morales qu’elle brandit, qui détruisent notre culture, mais bien le capitalisme, qui ne cesse de tout réduire en cendres en marchandisant tout.
Ce dimanche à 12h se tiendra un pique nique/rassemblement sur le site de la Roche aux fées à Essé, autre dolmen emblématique menacé par l’agrandissement de son parking d’accès. Soyons y le plus nombreux-ses possible.
Pour conclure on vous laisse avec ce magnifique documentaire amateur qui narre l’épopée de la lutte de Menhirs libres contre la transformation des alignements en parc payant.
Dispac’h, le 13 juin 2023